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Les Pensées de Francis Renaud
10 novembre 2013

L'hésitation...

 

Il travaillait dans cet atelier depuis vingt-cinq ans déjà. Toutes ces années, il les avait passées à essayer d'oublier dans la peinture le visage qu'il n'avait pas osé suivre un matin.
Elle lui avait demandé de partir avec lui. Au début ils avaient connu l'un et l'autre ce coup de foudre dont tout le monde parle sans l'avoir vraiment rencontré. Il se souvient du temps où il allait la chercher chez elle un bouquet de fleurs à la main, de ces longues heures de promenade sans parler. Quand elle se serrait dans ses bras, en fixant son regard, il avait le sentiment qu'il pourrait la protéger tout le restant de leur vie. Mais il ne l'avait pas fait. Il avait atteint un tel savoir faire dans l'art d'oublier. Son pinceau peignait sans cesse ce visage sans qu'il se rende compte de la ressemblance avec cette femme qu'il avait aimée. Il pansait ses blessures en essayant de ne plus penser. Que s'était-il passé ce matin là quand elle lui dit :
« Partons maintenant ! Laissons là tout ce que nous avons. A deux nous formons une fine équipe pour affronter la vie.»
L'expression qu'elle venait d'employer pour décrire leur relation fusionnelle lui semblait peu appropriée et inhabituelle dans la bouche du si jolie femme. Et s'il se trompait ? Et s'il la trompait ? Et s'ils se trompaient tous les deux ?
Une somme de questionnements surgit à l'écoute de sa demande. Après tout, ne devrions nous pas déjà mesurer la sincérité d'un amour à la façon dont l'un et l'autre ont de le décrire ? Il ne voulait pas précipiter les choses, il ne pouvait s'empêcher d'apporter comme seule réponse à sa demande qu'un tas de questionnements philosophiques sur leurs sentiments. Il se sentait moins forte qu'elle. La vérité était là. Devant cette femme qu'il avait toujours trouvée unique, il n'avait qu'une multitude d'hésitations. Ce n'était pas la première fois qu'il hésitait. En y réfléchissant bien il avait toujours hésité. Déjà tout petit quand sa grand-mère lui demandait s'il préférait sont père ou sa mère, il hésitait déjà. Plus tard à l'adolescence entre les filles et les garçons il hésitait encore. Ensuite quand il commença à travailler, il hésitait aussi entre mener une carrière ou mener sa vie. Cette femme lui avait posé une question qui le ramenait à sa propre défaite. Ne jamais savoir quand il faut choisir et partir. Voilà pourquoi il peignait. Il peignait pour l'oublier. Il peignait car il était malheureux.
Depuis quelques temps, il ne touchait plus à ses pinceaux. Il ne peignait plus. Il lui semblait être arrivé au bout de l'oubli. Il savait que la peinture lui avait tout apporté et que le temps lui était compté. Vis à vis de la mort il se sentait serein. Il pouvait partir en toute simplicité car quand on hésite entre soi et soi même, on ne fait de peine à personne. Choisir c'est déjà éliminer l'autre. Mais quand l'autre n'existe plus, on ne détruit que soi même. Pour la première fois de sa vie il allait choisir. Choisir sans hésiter. Choisir de partir seul. Il lui semblait pour une fois très facile de se décider car il savait qu'il ne se tromperait pas. Il acheva sa toile et se servit un grand verre d'eau, il alla dans la salle de bain et prit un cachet. Il choisit alors sans hésiter d'avaler la boîte entière. Allongé sur son lit, il attendait. Il attendait qu'elle revienne. Alors il hésita à fermer les yeux pour la dernière fois.

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